chessL’émergence de stratégies d’entreprises, qualifiées de « stratégies de rupture », a marqué le paysage concurrentiel de ces dernières années.

La rupture pour changer les règles du jeu

Une entreprise initie une stratégie de rupture pour développer un nouveau relais de croissance, acquérir une ressource critique, sortir d’un secteur en déclin ou entreprendre à une échelle plus grande. Pour ce faire, il lui faut « changer les règles du jeu » à son profit, au sein de son secteur économique ou même initier un nouveau marché.

La rupture peut être technologique si elle marque une évolution radicale en s’appuyant sur une technologie nouvelle. C’est par exemple le cas dans l’avènement du téléchargement qui remet en cause le « business model » bâti autour de la vente de musique sur cd-rom, ou bien l’édition numérique. De même, le déclin du cinéma comme spectacle a été enrayé par le développement des multiplexes qui apportent une qualité sonore et visuelle inégalable.

La rupture concerne aussi des univers plus traditionnels

Cependant, la rupture peut s’inscrire dans un univers traditionnel sans évolution technologique notable. Il s’agit alors de modifier la relation au client en redéfinissant le partage de la valeur. Ainsi du modèle Ikea basé sur la « sous-traitance », auprès du client, d’un maillon clé de la chaîne de valeur du meuble – le montage – en contrepartie d’un prix moins élevé. Cette redéfinition du partage de la valeur est typique des stratégies « low cost » où la valeur est volontairement « dégradée » pour offrir au client un produit simple au « juste » prix, telle La Logan de Renault par exemple. Il est à noter que cette dernière constitue une sorte de « rupture interne » au sein de l’offre d’une entreprise dont l’obsession des dernières années a été la montée en gamme.

La rupture est une réponse aux évolutions de l’environnement

La « stratégie de rupture » apparaît comme une réponse à l’instabilité et à la complexité croissantes d’un environnement économique, où s’exerce une concurrence féroce. Il s’agit d’un véritable « pari stratégique » dans la mesure où, par définition, aucune étude de marché ne peut conforter l’entreprise qui voudra se lancer dans une telle aventure puisque le consommateur ne sera pas capable d’évaluer une offre… en rupture avec tout ce qui se fait !

Le pari peut aussi être celui de l’« absence de rupture » ! Ainsi, une entreprise telle que Poilâne, proposant un pain haut de gamme, aura intérêt à communiquer sur la continuité d’une offre issue d’une tradition centenaire, ce qui n’empêche en rien l’innovation de process.

La stratégie de la « rupture », qui exige audace et créativité, fait courir un risque majeur à l’entreprise car elle repose sur la redéfinition complète de son modèle économique et nécessite l’adhésion de ses collaborateurs. La valorisation des savoirs, explicites et implicites, l’organisation et la qualité du management expliquent pour une bonne part les écarts de performance entre entreprises évoluant dans les mêmes secteurs et soumises aux mêmes contraintes macro-économiques.

La rupture contre les modèles stratégiques académiques

Dans un environnement où l’accès à une information produite massivement se généralise, les modèles stratégiques, banalisés par les formations universitaires et par les consultants, appliqués de manière identique risquent de donner les mêmes résultats. La capacité à varier les angles d’approches d’une réalité mosaïque commune aux acteurs et à « sortir du cadre » est déterminante. La notion de « rupture » elle-même n’est pas nécessairement claire car ce qui est de l’ordre de la « rupture » n’est pas toujours facile à définir. Elle peut, paradoxalement, émerger progressivement sans que les acteurs économiques en aient saisis tous les enjeux au départ car son appréhension exige de penser « contre » ou tout du moins, « en rupture » !

La rupture appelle la créativité

In fine, c’est la créativité qui fait la différence. Mélange d’intuition et de réflexion… elle demande du temps, la ressource la plus rare pour le manager… car pour bien réfléchir, il faut savoir « ne rien faire » !

[Kamel Lama – 2016]