éthique et autrui

Les échecs des démarches de Coaching peuvent être reliées à la focalisation exclusive sur le comportemental, alors que l’éthique, le « d’où parle le coaché », est primordiale…

Cet article s’inspire de l’approche du ARBINGER INSTITUTE (Terry Warner).

[Nota : des expressions issues des textes en anglais sont insérées.]

Le point de départ :

T. Warner s’intéresse en priorité aux échecs du coaching. Alors que ce dernier vise avant tout le développement et le changement de la personne [« the primary goal or heart of coaching is client growth and change »], il échoue très souvent malgré les « modèles » d’analyse de comportement et les différents outils dont dispose le coach formé. De fait, parfois les clients ne changent pas ou de manière insuffisante eu égard aux objectifs poursuivis et aux désirs mêmes de changer. [« another way to say this is sometimes, clients fail to grow and change, and coaches fail to focus effectively on that objective. »].

Pour T. Warner, trop souvent, les coachs se trompent de chemins en recherchant exclusivement des solutions comportementales [behavioral] comme l’apprentissage de nouvelles compétences, ou bien stratégiques comme le changement d’objectifs pour le processus de coaching, ou même relationnelles comme le fait de préconiser un autre coach ou bien d’arrêter purement et simplement la démarche ainsi entreprise !

L’auteur souligne le manque de réflexion ou d’examen critique de la part de coachs qui ne remettent pas en cause leur façon d’aborder le changement, en particulier, en encourageant les clients à se concentrer sur eux-mêmes sans tenir compte du contexte social dans lequel ils sont insérés.

Ainsi, au-delà du comportement, ou plutôt, « sous » le comportement réside la clé du changement, à un niveau plus profond que celui habituellement appréhendé par les coachs. Ce niveau, T. Warner l’appelle « Way of Being » ; il caractérise la façon dont nous « construisons » la réalité sociale telle que nous la percevons [« it is the way in which we encode our social reality]. Pour T. Warner, là se trouve le « quelque chose de profond » qui aura une influence déterminante dans la façon dont nos efforts pour changer seront ou non, couronnés de succès.

Les deux façons d’être :

T. Warner distingue deux façons fondamentales d’Etre : « responsive » and « resistant ». Ces deux modes d’Etre sont inconscients et fondamentaux en ce sens qu’ils vont nourrir nos perceptions du monde et conditionner nos comportements.

Etre « responsive » c’est considérer les autres comme des personnes (et non comme des moyens). C’est les accepter comme ils sont et accepter l’idée qu’ils ont les mêmes besoins et attentes que nous-même, de façon tout aussi légitime. C’est répondre à leur humanité et susciter le même type de réponse.

Etre « resistant », c’est au contraire considérer les autres comme des objets. Soit ils me sont utiles et j’entreprends ce qu’il faut pour obtenir ce que je souhaite, soit je les considère comme des obstacles que je dois combattre, soit je pense qu’ils ne peuvent rien m’apporter et je les néglige.

Etre dans ce mode, c’est percevoir comme moins importants et surtout pas aussi légitimes que les nôtres les besoins des autres. Quelque part, c’est nier leur humanité, les réduire à une caricature nécessairement incomplète et fausse, ce qui ne peut provoquer que résistance et réactions négatives de leur part.

Pour T. Warner, s’actualiser dans ce mode d’Etre, c’est comme se situer dans une « boîte » [« in the box way »]. Cet enfermement symbolique se caractérisant par un « cœur en guerre ». A l’opposé, la position « en dehors de la boîte » caractérise la façon d’être « responsive ». Cette façon d’être « out of the box » autorise la paix du cœur [heart at peace].

Ainsi, vouloir entreprendre un quelconque processus de changement et de développement sans chercher, prioritairement, à « sortir de la boîte » est voué à l’échec. Les fondements n’étant pas remis en cause, même si lesdits comportements changent en apparence suite au processus de coaching, l’être humain reviendra rapidement à sa « situation d’équilibre », c’est-à-dire sur ses fondations même si elles sont établies de façon faussée.

Ce dernier terme est important : pour T. Warner, la façon d’être qu’il qualifie de « resistant » est une façon « fausse » de vivre en ce sens qu’elle n’est pas conforme à la vérité profonde [the deepest truth] de la nature humaine.

Il l’interprète comme une « trahison » par rapport à la nature authentique de l’être humain. L’être humain « se trompe » en construisant sa boîte.

De son point de vue, en tant qu’êtres humains, nous sommes responsables de ce que nous sommes – même si notre tendance est plutôt d’accuser les autres –  aussi, lorsque notre nature profonde est trahie c’est que nous nous sommes trahis nous-mêmes, en tant qu’êtres humains, jusqu’à nous enfermer dans la boîte [self-betrayal] !

Et le fait, que nous puissions « y vivre » sans en être conscients est possible en raison de notre capacité à nous tromper nous-mêmes [self-deception].

T. Warner s’inscrit pleinement dans le courant de la psychologie humaniste, incarnée en particulier par A. Maslow qui n’hésita pas à rapprocher psychologie et morale en écrivant que le besoin du Beau, du Vrai, du Juste est une pulsion innée. Il posait ainsi les bases d’un véritable « idéalisme biologique » en affirmant que les aspirations humaines les plus hautes en termes de valeurs sont des tendances innées qui ne demandant qu’à être cultivées.

Une démarche éthique

T. Warner nous propose une démarche de développement de la personne fondée sur la « non –trahison » de la nature profonde de l’être humain appréhendée comme fondamentalement bonne et la « non tromperie » à l’égard de soi-même et des autres. Notre propos, ici, est de s’interroger sur une telle démarche qui tente de concilier morale et cognition.

La conception du « self-betrayed » de T. Warner, en affirmant la primauté des fondements moraux chez l’individu, semble s’opposer à une certaine forme de « pragmatisme psychologique » qui irrigue aujourd’hui les pratiques du développement personnel et du coaching.

Il écrit ainsi, que « the self-understandig of human beings turns out to be not merely a scientific project, but even more fundamentaly an ethical one”.

Pour lui, cette éthique procède de la relation avec les autres, “the loving bonds”, les liens d’amour, qui, paradoxalement, nous libèrent et nous permettent de rejoindre notre nature authentique, notre « source de lumière ». Il rejoint ainsi la « visée éthique » de P. Ricoeur décrite comme « visée de la vie bonne avec et pour autrui dans des institutions justes ». Une institution étant une « structure du vivre ensemble ».

De fait, on retrouve chez T. Warner ses racines chrétiennes, qu’il partage d’ailleurs avec P. Ricoeur, philosophe protestant. Il nous semble que poser que la nature fondamentale de l’homme est bonne, c’est avant tout effectuer un acte de foi.

En effet, le Mal qui pour une grande part, trouve son origine dans la violence que l’homme fait à son semblable, ce que P. Ricoeur appelle le « mal moral », reste l’aporie première de la réflexion philosophique et théologique.

Les diverses théodicées, n’ont pas apporté de réponse satisfaisante à cet égard, et à l’ère des « philosophies du soupçon », Freud a pu écrire, dans ses « essais sur la psychanalyse », méthode qui exerce une influence notable sur nombre de coachs, en France tout du moins, que « nous avons tendance à juger l’homme meilleur que ce qu’il n’est ». Ainsi, pour la théorie Freudienne, à l’opposé des conceptions de Maslow, ce n’est pas la bonté qui est naturelle chez l’homme, c’est le mal, le « vivre ensemble » n’étant rendu possible que grâce à un système de coercition familial et social qui réfrène et contient les pulsions.

Cependant, on peut ne pas adhérer à cette vision radicalement pessimiste de l’être humain qui l’assimilerait à un Caïn voué à la violence.

On peut rejoindre l’éthologue I. Eibl-Eibesfeldt qui affirme que « nos tendances hostiles sont contrebalancées par des tendances à la sociabilité, au contact amical, à l’entraide, à la compassion », terme cher à T. Warner.

Il ajoute que « les virtualités du bien nous sont données biologiquement comme celle de la destruction ». Au final, ce n’est pas contradictoire avec l’anthropologie chrétienne qui veut que l’homme ait été créé libre par Dieu afin qu’il puisse faire preuve d’un amour authentique à son égard et à l’égard de ses semblables…

Mais cela signifie que dans certaines circonstances, je peux avoir à faire avec des personnes qui seront imperméables à ma compassion, ou pire l’exploiteront, simplement parce qu’ils ont « librement » décider de penser en priorité à eux-mêmes. Autrement dit, de considérer Autrui comme un moyen et pas comme une fin en soi.

D’une certaine façon, ce stade de développement de l’être que T. Warner appelle « responsive », qui constitue le stade ultime du développement de l’être au sens éthique, traduit aussi un niveau de maturité, « l’homme fait », selon l’expression de Raymond Abellio, qui n’est pas toujours atteint par l’être humain.

Il nous semble que l’intérêt majeur de l’apport de T. Warner est d’avoir mis en lumière la nécessité qu’il y a, pour le coach, à s’intéresser aux fondements moraux du comportement de son client avant de s’attacher à en faire évoluer les manifestations.

Ainsi, la « trahison de soi-même » peut être appréhendée sous un angle moral, par exemple en adoptant une démarche de questionnement de type socratique, à l’instar de Katie Byron. La problématique de la « tromperie de soi-même », qui lui est reliée, peut s’aborder sous l’angle de la cognition. Les méthodes proposées par T. Warner tiennent compte de la construction par la personne de représentations qui sont autant de « barrières mentales » à la juste compréhension des choses. Dès lors, outre la démarche fondamentale de questionnement, il est possible pour le coach d’utiliser diverses méthodes « d’ouverture » telles que le questionnement à partir de « lucarnes », l’expression métaphorique, graphique, et autres, pour faciliter la « sortie de la boîte ». Mais cette dernière ne peut être pérenne qu’à condition d’avoir aussi travaillé sur le versant moral.

[Kamel LAMA- 2016]