Comme suite à la crise du Covid 19, la « re-localisation » des activités industrielles est à la mode. Les sondages montrent qu’une bonne part de la population française attend des actions en ce sens de la part du gouvernement. La gauche et la droite populaires, les souverainistes bien sûr, clament qu’ils avaient raison depuis… toujours… il faut que la France produise chez elle !

Mais est-ce si simple ?

Plusieurs raisons incitent à la prudence. En économie, comme ailleurs, les « y’a qu’à – faut qu’on » marquent assez vite leurs limites.

Ainsi, nombre de français, selon les enquêtes, se montrent scandalisés que l’on puisse importer des produits pharmaceutiques alors que nous disposons d’une industrie pharmaceutique puissante.

Oui, et bien justement ! Notre industrie de santé est tellement puissante qu’elle exporte beaucoup, nos exportations ayant encore progressé en 2019. Nous exportons plutôt des produits à forte valeur ajoutée, molécules complexes par exemple, et importons des produits pharmaceutiques plus simples, comme des excipients, des molécules banalisées, etc. Ainsi, le fait d’importer des produits dans le domaine de la santé n’a rien de scandaleux : c’est la réciprocité de nos exportations, c’est l’essence même des échanges internationaux. Les plus grands exportateurs sont souvent de grands importateurs, car les clients exigent la réciprocité. On peut en douter, il est vrai, en ce qui concerne la Chine qui a pu intégrer l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) sans vraiment démontrer son bon vouloir en la matière… mais l’excédent commercial de la Chine, rapporté à son PIB, se réduit tout de même, car le pays importe de plus en plus, et a dû signer récemment un accord de réciprocité avec les USA.

En fait, rien n’empêche notre gouvernement de constituer des « stocks stratégiques » pour certaines spécialités pharmaceutiques, même produites à l’étranger. Après tout, nous le faisons déjà pour le pétrole que nous ne produisons pas.

De même, pourquoi vouloir produire à nouveau des masques ? Bien entendu, il est vraiment regrettable que nous ayons fermé notre dernière usine de fabrication de ce produit. Mais faut-il vraiment réinvestir sur ce produit peu sophistiqué et très mécanisé ? Au total, cela se traduira par peu d’embauches et l’importation de machines à coudre industrielles…depuis la Chine…

Et d’ailleurs, la source du problème concernant les masques semble devoir être recherchée du côté de  la gestion de nos anciens stocks stratégiques qui ont été vendus, après l’abandon du plan pandémie, et se sont retrouvés chez nos voisins, dont l’Allemagne…

Le concept de « relocalisation » peut s’avérer illusoire et même dangereux.

Il semble illusoire aujourd’hui d’imaginer se passer des produits étrangers dans un pays, la France, dont le degré d’ouverture (moyenne des exportations et des importations, divisée par le PIB) dépasse les 25% du PIB, ce qui implique nombre d’emplois directs et indirects. N’oublions pas aussi que la France exporte beaucoup dans le domaine des services (services financiers, informatiques…) et demeure le premier pays pour le tourisme international.

Le commerce est fait de réciprocité. Fermer nos frontières et produire chez nous entraînerait des mesures de rétorsion. Par ailleurs, n’oublions pas que relocaliser implique de retrouver des compétences qui se sont perdues… nous ne pourrons plus égaler la Chine en matière de production des biens électroniques de masse…sauf à devenir sous-traitant de ce pays. Décider de retrouver notre niveau industriel des années 70 (l’industrie représentait alors plus de 20% de notre PIB contre 10% aujourd’hui) et proclamer la « relocalisation industrielle » comme le fait le gouvernement, est louable, mais cela prendra du temps…

Enfin, les catégories aisées de la population peuvent orienter leur consommation dans un sens plus durable et local en achetant français… mais n’oublions pas que les classes modestes ont pu accéder à des biens de consommation à valeur ajoutée, en particulier les biens électroniques et l’automobile, grâce à la mondialisation des systèmes de production. Le constructeur français Renault produit ses modèles les plus accessibles en termes de prix, hors de France.

La relocalisation massive est dangereuse, car elle peut avoir un « effet de domino » et entraîner nos partenaires commerciaux dans une spirale de relocalisation et de rétorsion contre nos produits. Elle peut les inciter à produire chez eux. Lorsque les USA ont décrété que les supercalculateurs étaient des produits stratégiques et interdit leur exportation vers la Chine, il a fallu deux ans à ce pays pour construire ses propres supercalculateurs.

Montesquieu établissait une corrélation entre « douceur et commerce » : « c’est presque une règle générale, que partout où il y a des mœurs douces, il y a du commerce, et que partout où il y a du commerce, il y a des mœurs douces » écrivait-il.

Bien sûr, il y a eu de nombreuses guerres depuis la période qui a vu naître le commerce mondial, mais jamais un tel degré d’interdépendance des économies et des systèmes industriels, comme c’est le cas aujourd’hui n’avait été atteint. Même la pandémie du Covid 19 a été largement traitée sur un plan mondial, pas en ce qui concerne les mesures sanitaires, mais pour ce qui a trait à la recherche, aux statistiques, aux méthodes de traitement, etc., et on peut ajouter les aides aux pays pauvres.

Sans vouloir nier l’importance que peut prendre le nationalisme et sa dimension irrationnelle, il est clair que les conflits sont contenus par les intérêts économiques autant que politiques. Les Européens ayant pour leur part, créé un « objet politique non identifié », l’Union européenne, pour les régler pacifiquement.

Penser « français d’abord », vouloir relocaliser est compréhensible, mais comporte des limites. Seules les guerres mondiales réduisent drastiquement le commerce mondial et favorisent les économies autarciques.