INNOVATION

1 – qu’est-ce qu’une innovation pédagogique ?

Parler « pédagogie » c’est parler « méthode » ; point important : un problème pédagogique, c’est un problème de méthode, un outil pédagogique, même très sophistiqué, ne vaudra que par la méthode pédagogique qui a présidé à son élaboration et qui va orienter son utilisation.

Si l’on considère les origines grecques du mot méthode (odos : route ; méta : à travers) : on peut considérer que la pédagogie est un cheminement continuel jalonné d’innovations qui sont autant de changement méthodologique sans jamais dévier du but (jamais atteint) d’amélioration de l’apprentissage.

Ainsi, il nous semble que la définition de l’innovation au sens de Schumpeter qui assimilait celle-ci à une « rupture » ne s’applique pas à la pédagogie. Une innovation pédagogique vient changer et améliorer les méthodes mais jamais de façon radicale. Elle contribue plutôt à enrichir une palette déjà vaste de modèles et pratiques pédagogiques.

On constate donc une évolution « en strate » : le champ de la connaissance en pédagogie incorpore toutes les pratiques et parfois, c’est la combinaison de ces pratiques qui va constituer l’innovation à proprement parler. Il n’y a pas exclusion, comme dans le champ des sciences par exemple.

S’il existe des modèles en pédagogie, il n’existe pas de « pédagogie modèle ».

Par ailleurs, comme tout processus d’innovation, l’innovation pédagogique ne se décrète pas : les moyens investis augmentent bien entendu les chances de réussite mais c’est le facteur humain qui décide en dernier ressort. Trop d’innovations pédagogiques ont terminé leur carrière dans un placard car on n’avait pas assez intégré ce facteur.

Enfin, comme tout processus de changement, l’innovation pédagogique fait face à des freins. En particulier, l’un des enjeux actuels, est de faire évoluer le rapport au Savoir. Les nouvelles technologies permettent aujourd’hui de traiter véritablement celui-ci comme un « flux » alimenté par les acteurs de la formation eux-mêmes. Cependant, le passage du « stock » au « flux » pose problème : un « stock » peut être contrôlé et géré en fonction d’enjeux de pouvoirs.

Conclusion : il faut être prudent par rapport aux annonces de « révolution pédagogique ». Le discours pédagogique est aujourd’hui dominé par des arguments technologiques qui entretiennent une confusion entre méthode pédagogique et technologie. Ne pas oublier que la technologie ne nous dit rien sur la méthode même si elle est porteuse de changement.

 

 

2 – que peut-on identifier aujourd’hui comme innovation pédagogique dans le champ de l’éducation professionnelle ?

On peut, rapidement, distinguer au moins 3 pôles de changement (ils ne sont pas hiérarchisés, ils constituent plutôt les sommets d’un triangle).

 

PÔLE I : INNOVATION PRODUIT

Aujourd’hui, il est certain que la source première d’innovation pédagogique est constituée par les TIC. Ainsi, les éléments suivants sont porteurs d’innovation pédagogique (mais attention : c’est la méthode qui va faire de ces technologies une innovation pédagogique)

–             l’hyper-texte qui autorise la « navigation » dans la connaissance : il ouvre des perspectives sur l’individualisation des chemins d’apprentissage gage de progrès réels car on n’apprend pas de la même façon.

–             l’interactivité : attention, ce mot est galvaudé, l’interactivité que nous évoquons est issue de la théorie des systèmes. Elle implique une véritable interaction entre le programme et l’utilisateur. Ce n’est pas parce que cela bouge sur l’écran que cela « bouge » dans la tête de l’apprenant. Ainsi, un programme vraiment interactif doit être capable de se modifier en fonction des actions de l’utilisateur et de « modifier » ce dernier en retour ! (c’est à dire de l’amener à un stade supérieur de compréhension). Un programme qui alterne « pages à lire » et « qcm » est peu interactif .

–             l’individualisation des rythmes : cela rejoint le premier point, on sait aussi aujourd’hui que les rythmes d’apprentissage sont différenciés en fonction des individus. Les Tic permettent d’en tenir compte

–             le suivi individualisé et l’intelligence artificielle : les Tic permettent non seulement un suivi très précis de l’activité du stagiaire et de ses progrès mais elles peuvent aussi « s’adapter » et proposer des activités pédagogiques en rapport avec le niveau atteint ou avec des préoccupations spécifiques. A cela s’ajoute le « feed-back » : le programme indique au stagiaire où il se situe et l’encourage.

–             l’apprentissage collectif  : ses possibilités sont décuplées par les technologies ; il participe de cette « nouvelle gestion des savoirs » où chacun peut être producteur et consommateur à la fois de Savoirs et où l’aptitude à trouver et utiliser la connaissance compte plus que le fait de la détenir.

Tous ces éléments peuvent accroître notablement l’efficacité de l’apprentissage à condition d’être intégré dans un dispositif cohérent qui ne laisse pas de place à la « fascination technologique ».

 

 

PÔLE II : INNOVATION DE PROCESSUS

Pour faire rapide : on fait référence ici aux aspects organisationnels et temporels de la formation :

–             ré-ordonnancement des temps de l’apprentissage : il ne s’agit pas de réduire les temps comme on réduit les coûts ! Il s’agit de répartir différemment les temps de la formation avec des séquences en « présentiel » moins longues et des séquences d’auto-formation, etc.

–             de ce fait : adaptabilité des dispositifs de formation afin de préserver la motivation, de garantir l’intensité.

–             tout cela converge vers de nouvelles stratégies pédagogiques qui permettent de combiner plus de moyens qu’auparavant pour des fins qui restent identiques (amélioration générale et permanente des compétences) mais moins évidentes à atteindre en raison de la complexité croissante de notre environnement.

–             bien entendu, en faisant le lien avec la technologie, on peut dire que ces nouveaux processus vont s’appuyer de plus en plus sur les apprentissages de type communautaires ; ces derniers constituant des regroupements (plus ou moins) spontanés autour de problématiques très concrètes (gestion de chantier, gestion des ressources humaines, production en délais courts, etc.).

 

PÔLE III : INNOVATION DANS LA RELATION AU SAVOIR

Comme nous l’avons souligné plus haut, il nous semble que l’un des enjeux actuels réside dans le rapport au savoir. Et dans le changement que cela implique au niveau des « croyances épistémiques » c’est à dire « l’idée que l’individu se fait de la connaissance et des modalités de son acquisition ».

Le modèle « traditionnel » et positiviste de la formation domine les esprits : l’idée que le contenu est tout ou presque . Ce modèle est d’autant plus résistant, si l’on considère la population des cadres de haut niveau, qu’il a plutôt bien réussi aux diplômés c’est à dire à ceux qui ont réussi dans le système scolaire où il règne en maître.

Ainsi, il nous paraît qu’il est nécessaire de dépasser ces conceptions du Savoir en particulier dans la perspective du changement pour aboutir au développement de diverses aptitudes telles que :

–             l’esprit critique et la culture générale : nécessaires aux cadres supérieurs des organisations en particulier pour discriminer les connaissances pertinentes au sein de l’énorme masse de données disponibles aujourd’hui sur le net.

–             l’aptitude à évoluer dans la complexité qui suppose le développement d’une capacité à « décider en situation complexe » indispensable aux stratèges d’aujourd’hui et de demain.

–             etc.

 

En guise de conclusion brève :

Les apports de certaines innovations pédagogiques sont indéniables : on peut citer comme exemple concret l’utilisation grandissante de la simulation dans beaucoup d’organisations et pour des domaines très divers  (simulateur de vol, simulateur de production, simulateur de guerre, simulateur de gestion, etc.).

 

Cependant les limites sont réelles :

–             les ressources en temps et argent.

–             les croyances qui alimentent en particulier la confusion entre technologie et pédagogie.

–             les habitudes qui freinent le développement de dispositifs innovants (d’autant plus que divers facteurs sociologiques influencent la formation).

 

Par ailleurs, face aux innovations pédagogiques et aux promesses de la technologie, il est important de rappeler l’importance du facteur humain dans l’animation de ces dispositifs pédagogiques, quelque soit leur degré de sophistication en termes d’organisation, de méthodes et d’outils.

On peut dire que, à l’instar de l’expertise d’un sujet qui ne dispense pas du « savoir enseigner », la mise en place et la gestion d’outils d’apprentissage ne permet pas de faire l’impasse sur le « savoir animer  ». Le pédagogue munis des outils de l’apprentissage à distance et de la simulation doit se garder de succomber à « l’illusion technologique ». Son positionnement au sein du processus d’apprentissage sera différent, son temps sera affecté différemment, sa relation au savoir pourra en être modifiée aussi, comme nous l’avons souligné précédemment, mais son rôle de pédagogue restera central au sein d’un système axé sur la transmission du savoir.

Ainsi, les responsables de la formation dans les organisations, devront adopter une posture de stratège en choisissant les « voies et les moyens » (définition classique de la stratégie) en fonction des objectifs pédagogiques dans un univers plus riche mais plus complexe.

 

|Kamel Lama – 2017|