L’usage croissant des outils mobiles numériques se nourrit d’une promesse de liberté : communiquer, lire, écouter de la musique, travailler ou jouer en tout lieu et à toute heure.

Mais cette promesse recèle aussi son lot de risques. Il suffit d’observer les adolescents pour se rendre compte que ces technologies peuvent aussi isoler et altérer la capacité de concentration. Quoique cela sonne un  peu « vieux jeu », on peut aussi se demander si la stimulation permanente des enfants par des interfaces « faciles » de plus en plus conviviales et attractives n’a pas un impact à la longue sur l’aptitude à l’effort intellectuel.

Pour les adultes, il nous semble que la question mérite aussi d’être posée. Nombre d’entreprises ont décidé de fournir à leurs cadres des « smartphones » sophistiqués et il est impossible d’assister à une réunion aujourd’hui sans les voir (ex)posés sur la table. Ces outils sont équipés de multiples applications qui « facilitent » la vie et deviennent rapidement « indispensables » aux yeux des usagers.

Cela ne masque-t-il pas un risque de régression des capacités cognitives des individus … c’est-à-dire d’ « involution cognitive » en lieu et place de la « révolution » annoncée ? Ainsi, à l’instar des ados, le goût pour la facilité, le court, le visuel, le schématique,  n’est-il pas en passe de l’emporter chez les adultes ?

La première phase du processus de cognition, compris comme l’exercice de sa propre raison par l’être humain, est la phase d’analyse. Elle est primordiale car elle conditionne les décisions qui seront prises face à une situation donnée. Mais elle demande du temps. Pire ( !), elle suppose même d’accepter de « perdre » du temps, le cerveau humain procédant par modélisation, simulation et essais-erreurs : on se représente l’impact des décisions avant de les prendre.

Or les outils numériques offrent justement la « possibilité » de ne jamais « perdre » du temps. Il n’est que de constater l’usage constant qui en est fait en entreprise ; mais cette omniprésence se retrouvent dans bien d’autres situations (queues, transports, spectacles,…)  Cela suscite un comportement avant tout « réactif » car il est difficile de ne pas « répondre » lorsque l’outil nous sollicite, ce qui nous place en permanence à la surface des choses, en nous donnant l’illusion que nous sommes « multitâches », alors que l’esprit humain est plutôt fait pour faire « bien » une seule chose à la fois.

Inconsciemment, l’adulte se soumet ainsi à un bombardement incessant d’informations, à un « bruit de fonds » permanent qui peut induire un sentiment de stress – qui n’a pas eu l’impression à la fin d’une journée riche en mails qu’il n’avait fait qu’effleurer ses tâches  ? – et réduire, in fine, l’efficacité au travail. Ce morcellement continuel du temps n’engage pas à se lancer dans les tâches les plus longues et les plus exigeantes, et peut même susciter une certaine forme de procrastination, le « report à plus tard ».

Bien sûr, on peut aussi incriminer le contexte : la fréquence des changements, la réduction des cycles de vie des produits impliquent agilité et réactivité. Ce qui constitue d’ailleurs autant d’ « injonctions » auxquelles sont soumis les managers. Mais ces phénomènes impliquent aussi des réponses stratégiques… or la stratégie s’inscrit par définition dans un temps long…

A l’heure où l’entreprise « apprenante » émerge on peut se rappeler qu’une de ses composantes clés c’est l’individu qui apprend ! Pour ce faire, il se connecte bien sûr, mais il doit aussi savoir « se débrancher » !

Au plan personnel, l’usage constant des outils numériques semble s’apparenter à la volonté de combler un vide. Peur d’être seul, d’être avec soi-même ? Les outils nous offrent la possibilité d’échapper au moment présent, et ce faisant, de « perdre le contact » avec nous-mêmes… en attendant l’application « retour à soi » ?

 

 

 

 

 

|Kamel Lama – 2018|