La culture générale est-elle utile à l’entreprise ?

Cette connaissance à priori « inutile » dans un contexte où la rapidité et la compétitivité priment y est-elle reconnue comme importante sinon indispensable ?

La culture générale est jugée importante dans les entreprises

A écouter les Grands Patrons, on peut penser que oui. Nombre d’entreprises offrent à leurs collaborateurs, et pas seulement à leurs cadres à potentiels et supérieurs, de courtes sessions de formation sur des thèmes non directement professionnels. Ces conférences sont le plus souvent animées par des universitaires tels que sociologues, philosophes, anthropologues.

Ainsi, une entreprise du secteur de l’immobilier va faire plancher ses collaborateurs sur l’habitat humain du futur. Une Banque va inciter à la réflexion sur le thème de… l’argent. Une entreprise industrielle va inviter un philosophe connu à disserter sur l’éthique. Pour les dirigeants d’entreprise, la culture générale est le plus souvent la maîtrise d’une « culture classique » au sens de ce que l’on appelait autrefois les « humanités ». C’est aussi la manifestation de capacités, en particulier ouverture à des cultures étrangères, ce qui est crucial pour les Groupes internationaux, et aptitude à « sortir du cadre », à prendre de la distance avec le quotidien professionnel.

Toutes choses paradoxales si l’on songe au fait que les systèmes d’évaluation des entreprises sont encore largement construits dans l’optique de l’efficacité. De même, s’il est reconnu que, dans la carrière d’un cadre, passé un certain stade, ce n’est plus la maîtrise technique qui compte mais plutôt des compétences dans le domaine du management et de la communication, le poids du réseau personnel reste prépondérant. Au point que ces mêmes dirigeants mentionnés n’hésitent pas à reconnaître que l’on peut réussir chez eux… sans grande culture générale !

Les nouvelles générations réinventent-elles la « culture générale » ?

Cependant, au travers des discours de ces leaders, se fait jour une sourde inquiétude. La « jeune génération » semble peu intéressée par la culture générale et fait preuve parfois de profondes lacunes tant en histoire qu’en matière de littérature ou d’art. Phénomène d’autant plus inquiétant que la culture générale participe du socle commun qui façonne le « vivre ensemble » d’une société. Il y a plus d’un siècle, Victor Cousin justifiait en ce sens l’introduction de la philosophie au Lycée, en ajoutant qu’elle devait contribuer aussi à former l’esprit critique des nouvelles générations.

Plutôt que de déplorer la « perte » des humanités, à l’instar d’A. Finkielkraut le philosophe animateur de l’excellente émission de radio « Répliques », on peut se demander si les générations montantes, celles de l’internet, du web 2.0, des réseaux sociaux et autres artefacts de la communication, ne nous obligent pas à reconsidérer la notion même de « culture générale ».

Une approche différente de la « culture » et du savoir

Pour des jeunes qui ont grandi dans un contexte de remise en cause de l’autorité, au sens de figure paternelle, les « humanités » sont le plus souvent assimilées à l’école, lieu de coercition s’il en est. Le savoir « classique », dispensé, verticalement, de maître à élève est regardé avec suspicion par une génération dont le rapport au savoir est radicalement différent. Pour ces générations, il s’inscrit plus dans un processus horizontal d’élaboration collective et de partage que de valorisation sociale. Ainsi on peut, nous semble-t-il, changer de perspective, et se poser la question : déclin réel de la culture générale, ou émergence de nouveaux rapports aux savoirs, de nouvelles façons d’apprendre et de nouveaux savoirs ?

Cette « génération Y » n’est-elle pas en train d’inventer la « culture classique » de demain ?

L’enjeu de l’intelligence de la connaissance et de l’esprit critique reste crucial

Cependant, si un jour la technologie, via la bio-électronique et l’interfaçage du cerveau aux bases de données, nous donne la possibilité d’avoir accès en temps réel à tout le savoir humain formalisé, il n’en reste pas moins que si l’on veut que ce « savoir là » ne soit pas « connaissance inutile », comme le faisait déjà remarquer J.F. Revel, il faudra être capable de le penser et de le critiquer ce qui nous ramène au projet initial de la culture générale !

 

 

 

 

|Kamel Lama – 2019|