« Quand on me contrarie, on éveille mon attention et non pas ma colère. Je m’avance vers celui qui me contredit, qui m’instruit. La cause de la vérité devrait être la cause commune à l’un et à l’autre. »

Montaigne

Dans le cadre de mes interventions en tant que facilitateur, mon objectif premier est de rendre des groupes de participants « productifs ». Le processus de facilitation doit leur permettre de produire ensemble de nouvelles idées. Des idées relatives à la stratégie, à l’innovation, à une nouvelle organisation, etc.

Or, très souvent, au sein des sous-groupes constitués pour travailler, sur chaque étape du processus, on peut très vite constater que les participants ne savent pas échanger. Ils ne savent pas s’écouter les uns les autres, cela génère de la frustration chez ceux qui ont du mal à s’imposer et ne peuvent s’exprimer comme ils le souhaiteraient.

L’émission de radio « Répliques », animées depuis 1985 par M. A. Finkielkraut nous offre un modèle du genre en termes d’échange. Son producteur la qualifie de « conversation libre » entre personnes qui les idées opposent. En tant que facilitateur, la façon de « fonctionner » de l’émission m’interpelle par rapport aux obstacles que je peux rencontrer au cours de mes animations.

Ce qui est intéressant, c’est la méthode qui préside au déroulement de l’émission et qui en fait un moment rare de civilité et d’intelligence :

-l’animateur, A. Finkielkraut gère le débat en passant la parole à l’un puis à l’autre. Il n’est pas neutre, il intervient lui-même, soit en tant que béotien, en posant des questions à la place de l’auditeur qui ne connait pas le sujet, soi en tant que philosophe, en interrogeant les idées proposées, de manière critique.

-les deux invités, schéma le plus fréquent, respectent la règle du jeu : ils ne se coupent pas la parole et interviennent à tour de rôle sur sollicitation de l’animateur.

Alain Finkielkraut pratique avec un art consommé les principes de base d’une bonne écoute :

  • La patience : chaque interlocuteur peut s’exprimer dans la durée sans risquer l’interruption intempestive de la part de l’animateur (comme cela peut se passer sur un média audiovisuel par exemple en raison du format). A. Finkielkraut encourage même l’expression en posant des questions inspirées par la lecture des ouvrages des invités.
  • L’écoute authentique : l’animateur écoute pour comprendre le fonds de la pensée de son interlocuteur sans « s’écouter lui-même ». Trop souvent, dans les groupes que j’anime, je constate que l’écoute, pour beaucoup, se résume à « attendre » que l’autre ait fini avant de « placer » ses idées sans tenir compte de ce qui a été dit, l’important étant de parler et de se faire écouter. Cela appauvrit considérablement l’échange et, in fine, la qualité des idées produites.
  • Les plages de silence : quoiqu’elles soient presque imperceptibles, ces plages de silence rythment l’émission. Après avoir écouté une émission « Répliques », l’impression qui reste n’est pas du tout celle que laisse un débat rapide et cafouilleux. Au contraire, c’est plutôt le côté « aimable » qui ressort. Il est vrai qu’Alain Finkielkraut participe parfois à des débats télévisés qui virent rapidement à la foire d’empoigne et c’est effectivement assez surprenant : que va-t-il faire à la télévision, là où le temps est extrêmement compté et où les débats sont souvent superficiels ?
  • L’attention : quoique l’émission ne soit pas télévisuelle, les échanges donnent le sentiment que, lorsque l’un des participants parle, les autres le regardent avec attention. C’est un aspect fondamental de l’écoute qu’il est souvent important de rappeler lors des séances de facilitation : il faut regarder, donner de l’attention à celui qui s’exprime. Se sentir ainsi regardé, soutenu par des visages bienveillants facilite l’expression.
  • La reformulation : lorsqu’il ne comprend pas, ou bien lorsque l’invité ne s’exprime pas clairement, l’animateur n’hésite pas à reformuler, de manière simple, ce qui est dit pour être certain d’avoir compris… et faciliter ainsi la compréhension par les auditeurs.
  • La bienveillance : l’animateur ne prête pas d’« intentions » a priori à son interlocuteur. Il le laisse s’exprimer, l’écoute pleinement et s’exprime à partir de ce qui est dit. Nul procès d’intention, nul préjugé, ce qui compte c’est ce qui est dit « ici et maintenant ».

Ainsi, semaine après semaine, depuis des années, a lieu cette conversation hebdomadaire libre et passionnante qui détonne dans l’univers des médias d’information.

Pour Alain Finkielkraut, « le maître secret de Répliques, son guide intérieur, c’est Montaigne », et la devise de l’émission pourrait être cette phrase tirée des Essais de Montaigne :

« Quand on me contrarie, on éveille mon attention et non pas ma colère. Je m’avance vers celui qui me contredit, qui m’instruit. La cause de la vérité devrait être la cause commune à l’un et à l’autre. »

[sources : https://www.franceculture.fr/emissions/repliques

https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9pliques]