Serious game

Le Serious Game, ou « jeu sérieux » est directement issu des technologies du jeu vidéo. Il bénéficie aujourd’hui d’un véritable « buzz » médiatique en raison de ses aspects attractifs et innovants. Le gouvernement a décidé d’encourager le développement d’une filière française compte tenu des savoir-faire nationaux en matière de jeux vidéos grand public. Des colloques français et internationaux sont organisés autour du Serious Game.

L’apprentissage par le jeu existe depuis très longtemps : les jeux de simulation informatisés et les jeux pédagogiques sont utilisés depuis une trentaine d’années pour former avec l’idée que « le ludique » constitue un fort levier de motivation pour l’apprenant. L’idée de base est de faire fonctionner un modèle représentatif d’une certaine réalité, à définir en fonction des objectifs à atteindre et des thèmes à traiter, en l’agrémentant de règles, à l’instar d’un jeu.

Ainsi, on peut dire que d’un point de vue strictement pédagogique, le Serious Game n’est pas en soi particulièrement innovant. C’est au plan des technologies employées qu’il est innovant – technologies d’animation virtuelle avec « moteur 2D ou 3D » et technologies internet – et de l’usage qu’il en est fait.

Cependant, le « Serious Game » ou « SG » ne s’inscrit pas vraiment dans la lignée des jeux pédagogiques « classiques » informatisés ou pas, il se présente plutôt – selon ses promoteurs – comme une alternative aux programmes d’e-learning « classique » en s’affirmant résolument plus « immersif » et ludique, et en proposant des interfaces graphiques de qualité supérieure ce qui lui conférerait  une efficacité plus importante. C’est cet aspect que nous allons aborder après avoir défini ce qu’est un SG.

Qu’est-ce qu’un Serious Game ?

 

La notion même de Serious Game demande à être définie tant sont disparates les définitions qu’en donnent les acteurs du marché.

Certains mettent l’accent sur les mots : un SG c’est la combinaison du jeu et du sérieux. Mais dans ce cas, pourquoi ne pas qualifier de SG toute démarche formative et ludique à la fois ? A cette aune là, un wargame est un Serious Game, de même pour un jeu d’entreprise, un simulateur de vol, etc.

Pour d’autres, il faut s’en tenir aux origines : le SG est issu du jeu vidéo. La frontière entre Jeux vidéo et SG n’est d’ailleurs pas si nette. Le premier Serious Game, ou jeu qualifié comme tel, qui a vraiment trouvé un public est le jeu America’s Army qui ne se distingue pas vraiment des « vrais » jeux destinés au grand public. Et après tout, America’s Army vise le grand public !

De fait, le mot Serious Game apparaît un peu comme un mot fourre-tout qui permet à tous les grands acteurs du monde de la formation professionnelle, en particulier, de proposer une offre dans ce domaine, cette dernière pouvant recouvrir des réalités bien différentes.

Si on s’en tient rigoureusement à l’origine du SG et à ses évolutions, on peut dire qu’ « un SG c’est une application informatique, dont l’intention initiale est de combiner, avec cohérence, à la fois des aspects sérieux (Serious) tels, de manière non exhaustive et non exclusive, l’enseignement, l’apprentissage, la communication, ou encore l’information, avec des ressorts ludiques issus du jeu vidéo (Game). Un Serious Game résulte ainsi de l’intégration d’un scénario pédagogique avec un jeu vidéo ».

Un Serious Game devrait donc être construit autour des éléments suivants :

–        des technologies issues du monde du jeu vidéo grand public. Ainsi, certains auteurs de SG n’hésitent pas mentionner le « moteur » incorporé, issu d’un grand jeu vidéo comme c’est le cas d’America’s Army qui utilise le moteur « Unreal Engine » pour la cartographie interne au jeu.

–        Un scénario ludique qui implique rôle, mise en situation, règles et mesure de performance ; cela sans qu’il y ait nécessairement compétition, certains jeux étant développés selon une philosophie coopérative.

–        Un thème et des objectifs pédagogiques : c’est bien entendu à ce niveau que le terme « Serious » prend toute son importance ; même s’il est possible d’utiliser un jeu tel que SimCity dans un cadre pédagogique, il n’en reste pas moins qu’il n’a pas été créé pour cela ; le SG est créé sur un thème pédagogique pour atteindre des objectifs pédagogiques. C’est donc fondamentalement l’intention qui préside à sa conception qui différencie le SG des jeux vidéo grand public. Ainsi, par-delà sont fonctionnement ludique (scénario, action de l’utilisateur, mesure de gains, etc.…), le SG devrait être accompagné d’un « appareillage » pédagogique complet : présentation de contenus structurés en fonction d’un parcours pédagogique, mesure d’acquisition, documentation pédagogique, etc.…

–        Pour résumer : le « Serious Game » c’est un jeu vidéo conçu en fonction d’une intention pédagogique (ou de communication) pour atteindre des objectifs pédagogiques (ou de communication).

Quelles sont les applications du SG ?

Nonobstant l’aspect budgétaire, abordé plus loin, quels sont les thèmes qu’il semble intéressant d’aborder avec les SG ?

En fait, si l’on considère l’étendue de la production actuelle et annoncée, on peut considérer que le Serious Game peut aborder une très grande diversité de thèmes. Les applications SG peuvent être utilisées dans de nombreux domaines tels que la médecine, la défense l’enseignement, l’industrie, le management des organisations, la sécurité civile, etc. Elles permettent de traiter de nombreuses problématiques liées à la formation, la simulation ou encore la communication.

Dans le domaine de l’éducation, l’usage des Serious Game se répand, en particulier au Royaume-Uni où ils sont utilisés dans le cadre de l’enseignement, qu’il soit primaire, secondaire ou universitaire, théorique ou technique. Les jeunes étant aujourd’hui particulièrement à l’aise avec les nouvelles technologies et les univers virtuels qu’ils se sont déjà appropriés en dehors des écoles dans le cadre de leurs loisirs, l’idée est de favoriser leur implication et de capter durablement leur attention. C’est aussi un outil de représentation de concepts abstraits, permettant notamment de manipuler virtuellement l’infiniment petit ou l’infiniment grand, d’expérimenter sans risque, d’explorer de lointaines époques de l’Histoire, et bien d’autres champs d’application…

En ce qui concerne les entreprises, ces dernières sont souvent confrontées à des problématiques de formation concernant la sécurité des sites dangereux, l’utilisation de machines-outils ou de véhicules spéciaux, l’application de procédures de qualité et bien d’autres auxquelles les Serious Game peuvent apporter des réponses alternatives par rapport aux méthodes traditionnelles.

Par delà les thèmes techniques, des thèmes managériaux ont été approchés par les SG tels que les techniques de recrutement, l’entretien annuel avec un collaborateur, l’accueil des clients, le marketing, etc.

Dans le domaine militaire, de nombreux jeux de simulation, précurseurs du Serious Game ont été développés. Mais par delà les simulateurs, les Serious Games peuvent répondre à d’autres besoins, comme les entraînements individuels ou collaboratifs, les enseignements généraux ou spécifiques (écoles militaires), la documentation technique électronique interactive pour assurer une maintenance rapide et efficace des matériels, le recrutement, les outils de commandement…avec l’ambition de réduire les coûts en recyclant des éléments de conception.

Quels sont les atouts et les limites du Serious Game ?

  • remarque importante : une grande part du discours relatif au Serious Game que l’on peut trouver dans la presse et sur internet a pour origine les producteurs de Serious Game. Nous nous situons dans la configuration d’un marché naissant où ce sont les offreurs qui produisent le discours dominant.
  • Comme nous l’avons déjà fait remarqué en introduction, du point de vue de ses promoteurs, le Serious Game représente une alternative au e-learning « classique ». Selon eux, le SG permet de dépasser la structure arborescente des modules habituels de formation en ligne pour offrir au joueur-apprenant un processus d’apprentissage moins linéaire. Ainsi, l’apprenant trace son propre chemin, le moteur du jeu gérant les éléments de connaissances en suivant les mouvements du joueur. Cette liberté d’action offerte au joueur-apprenant autorise une progression pédagogique au plus proche de son niveau puisque c’est lui qui décide ce qu’il doit apprendre et à quel moment.
  • Autre atout mis en avant : les Serious Game arrivent sur le marché de l’offre de formation à un moment où bon nombre des apprenants a grandi avec les nouvelles technologies et sont, pour certains d’entre eux, des « gamers » avertis.  Pour cette population, le Serious Game constituerait donc un moyen efficace pour pallier le manque de motivation qui peut affecter les programmes de formation, surtout ceux en ligne. Le SG permettrait à ce type d’apprenant joueur de « concentrer son attention », de comprendre et de garder à l’esprit beaucoup d’informations présentées en univers complexe, mais aussi de relativiser les points de vue, et de s’adapter au changement.
  • A cela s’ajoutent d’autres arguments :

o   Le Serious Game peut se révéler économique si la population cible est suffisamment large.

o   Le Serious Game permet à l’organisation qui l’utilise de se doter d’une image innovante compte tenu de l’importance du jeu vidéo.

o   Le mot « Serious » attaché à l’expression est rassurant.

  • Cependant, on peut aussi avancer quelques remarques critiques sans remettre en cause l’intérêt fondamental de l’outil, mais plutôt en lui attribuant la place qui lui est due :

o   En ce qui concerne ses relations avec le e-learning classique, il nous semble que le Serious Game peut constituer un élément, fort intéressant, au sein d’une démarche d’e-learning mais qu’il ne peut prétendre remplacer un dispositif e-learning dans son ensemble.  La bonne stratégie, nous semble-t-il est donc d’adopter une démarche non pas exclusive mais au contraire intégratrice.

o   Dans l’expression Serious Game, le « Game » serait garant de la motivation de l’apprenant, en particulier parce que le SG provient du jeu vidéo. Sans pouvoir développer ici plus avant la théorie du jeu, on peut simplement faire remarquer que le « ludique » ne se confond pas avec le jeu : il peut y avoir du ludique sans jeu (sans objet virtuel ou matériel que l’on désigne comme jeu) et il existe des jeux pas ou peu ludiques !

o   Par ailleurs, « l’énergie ludique » est par définition difficile à capter et elle s’épuise dans le temps. Une démarche pédagogique ne peut reposer entièrement sur le ressort ludique : au cours du processus d’apprentissage, il est important de prévoir des phases de « résolution de problèmes » qui permettent de prendre du recul par rapport à l’expérience ludique – elles correspondant à des pauses du point de vue du ludique – , et des phases de synthèse et de retour d’expérience qui sont la condition d’une bonne consolidation de ce qui a été appris. Tout ceci rejoint le point précédent : la nécessité qu’il y a à considérer le Serious Game comme un élément d’une authentique stratégie pédagogique, un élément certes intéressant et fascinant mais qui reste un élément d’un ensemble. On ne peut tout  miser sur « l’immersif » pour reprendre un mot clé des promoteurs du SG.

o   Le discours sur le caractère innovant du Serious Game entretient la confusion entre « innovation technologique » et « innovation pédagogique » :

  • L’innovation technologique c’est le développement de moteurs de plus en  plus sophistiqués, le progrès dans la modélisation des personnages, la qualité croissante des « IA », etc. On peut aisément constater la rapidité des progrès à ce niveau.
  • En ce qui concerne l’innovation pédagogique, la rapidité des progrès est moins évidente et pose la question de l’efficacité réelle du Serious Game : permet-il d’apprendre mieux ? il est certain que lorsque les apprentissages concernent des procédures et certains types de comportements adaptés comme ceux mis en œuvre au sein d’un simulateur de vol, cela peut être mesuré. Lorsqu’il s’agit de manager en entreprise, de négocier, de vendre, etc,  avec un Serious Game, il est plus difficile de mesurer l’apport réel de l’outil par rapport à une formation en présentiel ou à distance.

 

[Kamel Lama – Médialude – 2016]